Inflation : quels impacts sur les placements ?

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Inflation : quels impacts sur les placements ?

Serge Werlé et Mathieu Mucherie

01/07/22 - Inflation : quels impacts sur les placements ?

GILBET ROUX Les #RDVExperts vous proposent un numéro hors-série aujourd'hui, entièrement consacré à l'inflation, et pour cela j'ai invité deux de nos meilleurs analystes BNP Paribas Cardif. Il s'agit de Mathieu Mucherie, chef économiste. Bonjour, Mathieu.

MATHIEU MUCHERIE Bonjour.

GILBERT ROUX Et de Serge Werlé, responsable de l'ingénierie financière. Bonjour, Serge.

SERGE WERLÉ Bonjour, Gilbert.

GILBERT ROUX L'économie mondiale traverse une forte zone de turbulences depuis la crise sanitaire liée au COVID et maintenant aux troubles géopolitiques en Europe. Cela fait plusieurs mois que les économistes, les politiques et les médias agitent le spectre de l'inflation. C'est une situation qu'on n'a pas connue depuis plusieurs années en France et qui a un vrai impact sur notre quotidien. Donc vous allez nous aider à y voir plus clair aujourd'hui. Alors, je parle d'inflation, mais Mathieu comment vous définiriez ce qu'est l'inflation ? Et quelles conséquences cette inflation peut-elle avoir sur l'économie en général ?

Comment définir l’inflation et ses conséquences sur l’économie ?

MATHIEU MUCHERIE Oui, alors un petit rappel au préalable. L'inflation, c'est la hausse du niveau général des prix. Donc il ne s'agit pas de parler d'anecdotes. Il ne suffit pas de dire : le bois a pris 30 % sur un an, l'aluminium a pris 10 % sur 3 mois, non. L'inflation est un phénomène macro-monétaire. C'est-à-dire que c'est un déséquilibre dans l'offre et la demande de monnaie. Si le banquier central a émis trop de monnaie par rapport aux besoins, il va y avoir de l'inflation. Et s'il n’a pas émis assez de monnaie par rapport aux besoins, il va y avoir plutôt une déflation. I y a une offre, il y a une demande et il y a un rôle très important du banquier central qui est là pour éviter la surchauffe et pour éviter aussi la dépression comme dans les années 30. Donc le but du jeu, c'est d'éviter les années 30, d'éviter les années 70, et d'être toujours un petit peu au milieu. Autour de zéro, deux, trois, quatre, ça va. Et il ne faut pas que ça dérape, parce que si ça dérape, les anticipations dérapent et à ce moment-là, l'inflation devient une spirale, elle se nourrit des anticipations d'inflation

SERGE WERLÉ J’ai l'impression qu'on n'est pas dans cette situation des années 70, cette situation d'inflation, cette situation où les anticipations nourrissaient l'inflation comme une sorte d'exponentielle, comme une sorte de spirale. Alors, c'est vrai que certaines personnes ont identifié un certain nombre de problèmes, et ils pensent que, du coup, ça génère de l'inflation. Par exemple, ils disent : les bilans des banquiers centraux ont beaucoup enflé. Vous savez ? Le bilan de la banque centrale européenne, a été ajouté de 5 trillions de... On a ajouté 5 trillions d'euros... Ce genre de choses. Ou la FED a acheté 10 trillions d'euros depuis 10 ans, etc. Mais peut-être qu'en fait, tout simplement, il ne s'agit pas de création monétaire. Il s'agit plutôt de circulation monétaire. On a acheté des titres contre des réserves. C'est neutre, c'est un swap en fait. Il n'y a pas eu de création monétaire directe en réalité. Aujourd'hui, les gens ont besoin de cash. C'est ce qu'on appelle la hausse de la demande de monnaie. Et quand on a une hausse de la demande de monnaie depuis en gros 2008, il est normal que l'offre de monnaie ne soit à peine suffisante. Si on avait véritablement une inflation à 8 %, vous vous doutez bien que ça serait très compliqué pour l'épargne, on n’aurait pas du tout le même comportement de consommation, et les marchés financiers ne seraient pas du tout là où ils en sont, les taux d'intérêt nominaux évidemment ne seraient pas à 2-3 %.

GILBERT ROUX Alors, je reviens sur ce que vous venez de dire, Mathieu, puisque vous avez évoqué un taux de 8% et vous avez parlé d'anticipation. On voit dans la presse, les médias se font écho d'un taux d'inflation à 10% à la fin de l'année. Et ce qu'on n'est pas déjà justement dans cette notion ? Et ma deuxième question serait, ce taux, alors qu'il soit de 8 ou de 10, comment se construit-il et que veut-il dire exactement ?

Comment se construit le taux d’inflation et comment l’interpréter ?

MATHIEUR MUCHERIE En fait, on s'est liés à la mesure choisie par le banquier central. Et le banquier central a choisi comme mesure de l'inflation, du phénomène très complexe qu'est l'inflation, le CPI, c'est-à-dire l'indice des prix à la consommation. Et en réalité, c'est surtout une dérive du pétrole et du gaz. Alors, je vous ai prévu un graphique qui met ça un petit peu en musique sur les 20 dernières années en zone euro. On a l'inflation telle qu'elle est mesurée par ce fameux CPI, et on le corrèle évidemment au Brent, au prix du baril de Brent Pourquoi le Brent a monté beaucoup ? Eh bien, parce qu'au moment du COVID, il avait beaucoup baissé. Vous vous souvenez qu'aux États-Unis, on était même entré en niveau négatif pour le prix du baril sur les futures. Nous, je crois qu'on est descendu à 20-25 euros pour un baril de Brent à un moment. Et puis de 20-25, on est passé à 115 en l'espace de 18-24 mois. Et donc forcément, tout l'indice des prix a dérivé fortement. La vélocité de ces prix-là est extrêmement forte. Le pétrole, le gaz, toutes les matières premières, du coup, et évidemment, ça entraîne tout le CPI vers le haut. Mais est-ce qu'il s'agit véritablement d'inflation ? Vous allez avoir un déplacement de votre consommation, vous allez avoir un mouvement de prix relatifs, mais il ne s'agit pas à proprement parler d'inflation.

GILBERT ROUX On va s'intéresser un peu à l'économie française. Est-ce qu'il y a des conséquences ? Quels sont les exemples que vous avez, qui vous viennent à l'esprit sur la situation actuelle et sur les conséquences de ces politiques ?

Quelles sont les autres conséquences de l’inflation et des politiques monétaires qui sont menées ?

MATHIEU MUCHERIE Entre 2007 et 2008, le prix du baril double, il passe de $70 à $140 le baril. Au début du mois de juillet, Jean-Claude Trichet monte les taux d'intérêt. C'était vraiment le moment, l'euro était à 1.60, il fallait vraiment monter les taux d'intérêt, c'était vraiment très, très bien joué. Et quelques mois plus tard, le baril s'effondre, mais il ne se serait même pas effondré, de toute façon, le CPI ne serait pas resté à 4,5%, il se serait effondré statistiquement. C'est ce qu'on va connaître dans quelques mois, c'est ce qu'on appelle le fameux effet pschitt du CPI. On l'aura normalement à partir de cet été aux États-Unis et à partir de la fin de l'année en France. Et on n'a pas besoin d'avoir une baisse du prix du baril, il suffit qu'il se stabilise là où il est, de toute façon, par un effet de base sur 12 mois glissant, on va avoir un effondrement du CPI. Et donc il faut absolument éviter de faire des erreurs maintenant qu'on est proche du pic. C'est ça, c'est un peu ça l'idée.

GILBERT ROUX Est-ce que Serge, vous êtes d'accord avec l'effet pschitt dont Mathieu vient de parler.

SERGE WERLÉ Alors j'ai justement un graphique, Mathieu, qui montre cet effet de l'inflation. Ce que tu penses se voit également sur le consensus que l'on voit sur les marchés. Donc comment on le lit ? On a en courbe blanche le consensus sur le niveau d'inflation à fin 2022. Et on demande aux différents acteurs de marché : à combien voyez-vous le niveau d'inflation sur un an à fin décembre 2022 ? Et donc effectivement, courant 2021, les acteurs de marchés voyaient un niveau d'inflation à peine, enfin autour de 1%, à 1,5%. Et, dès lors qu'il y a eu les tensions géopolitiques, on a eu une augmentation du niveau d'inflation anticipée à fin 2022. Et ce que l'on voit quand même, c'est que le consensus sur le niveau d'inflation fin 2022, qui est en blanc, quand on le compare à ce même consensus, mais à fin 2023, on a bien le décrochage, c'est-à-dire qu'à fin juin les acteurs de marchés voient un niveau d'inflation à fin 2022 autour de 4,5-5%, et à fin 2023, ils retombent en dessous de 2%. Toutefois, ce que l'on voit quand même, c'est que quand on regarde cette courbe blanche, le consensus sur le niveau d'inflation ne fait qu'augmenter.

MATHIEU MUCHERIE Oui, mais alors, le problème, c'est qu'il ne s'agit pas d'anticipation. Il s'agit de réaction. Et il ne s'agit pas d'inflation, il s'agit de CPI. Ce qu'il faudrait regarder, c'est cette vraie inflation dont on n'a pas de mesure parfaite, évidemment, mais qu'on peut essayer d'approcher avec un certain nombre de proxys. Mais vous voyez bien que ce qui va générer des troubles dans les allocations, c'est ce mismatch, là. Espèce d'effet, on dirait une pente, comme ça. . Et c'est pour ça que le marché est agité depuis quelques mois.

GILBERT ROUX Alors, Mathieu, Serge, Comment réagir justement face à cette situation ?

Comment réagir face à cette situation ?

MATHIEU MUCHERIE Ce n’est pas évident, c'est essayer de trouver les moyens en tant que particulier de se décorréler un petit peu de cette macro compliquée. C'est une macro "bumpy road", c'est une macro tôle ondulée, parce qu'il n'y a pas de consensus sur le phénomène d'inflation. On entre dans une période qui est compliquée, volatile. Donc essayer de se décorréler un petit peu de la macro et des grands indices peut être une stratégie intéressante.

GILBERT ROUX Est-ce qu'il existe des classes d'actifs sur lesquelles il faut aller justement pour protéger au mieux son épargne ? Et ça va intéresser nos partenaires CGP qui sont à l'écoute, Serge.

Quelles sont les classes d’actifs pour protéger son épargne face à l’inflation ?

SERGE WERLÉ La première classe d'actifs à laquelle on a l'habitude de penser, c'est l'or. L'or, valeur refuge. Période de stress, période d'inflation : on a l'habitude de penser à l'or. Si on le met dans cette perspective de couverture contre le risque d'inflation, qu'est-ce que ça donne sur les dernières années ? Eh bien, voilà, on a ce graphique-là. En blanc, nous avons la valeur de l'or retraduite en euro. Nos contrats d'assurance vie sont en euros donc on retraduit la valeur de l'or en euros, et en rouge, on a l'indice des prix européens. Alors ce que l'on voit, c'est qu'on semble avoir une corrélation plus ou moins parfaite jusqu'à 2018. Et à partir de 2019, on a une envolée des prix de l'or que tu pourras expliquer Mathieu. Est-ce qu'un tel support est une bonne couverture contre l'inflation ? On pourrait se dire, ça couvre, parce qu'on a des performances qui sont bien au-delà de l'or, mais en fait, ce n’est pas ça qu'il faut regarder. Le graphique qu'il faut regarder, c'est le graphique en page suivante, c'est celui-ci. C'est quelle est la performance, sur un an par exemple, de l'or par rapport à l'inflation que l'on constate sur la même période. Et donc ce que l'on peut faire, c'est prendre sur plusieurs périodes de un an la performance de l'or en euro et l'évolution de l'inflation sur la même période, et d'afficher cette information sur un graphique. Donc chaque petit point bleu ici, sur le graphique, représente une fenêtre sur laquelle on va comparer la performance de l'or et l'inflation. Voilà. Donc ce que l'on voit, c'est qu'on a l'inflation qui est en abscisse et la performance de l'or qui est en euro et donc chaque point bleu, encore une fois, représente une de ces fenêtres. Si l'or était un actif qui permettait de couvrir efficacement contre le risque inflationniste, eh bien, on aurait des points bleus qui seraient rassemblés autour de cette ligne rouge qui en fait signifie que quand l'inflation fait 3%, eh bien, l'or doit faire 3%. Quand l'inflation fait +5, l'or doit faire +5. Quand l'inflation fait du négatif l'or doit faire du négatif, donc tous les points bleus devraient être rassemblés autour de cette courbe rouge. Y = X, voilà. En fait, ce que l'on observe, bien sûr, c'est qu'on a une dispersion extraordinaire, c'est-à-dire qu'en gros, l'or, ça donne la performance de l'inflation plus ou moins 50%, quoi, sur un an.

SERGE WERLÉ L'or, c'est la classe d'actifs à laquelle on pense en premier lieu, et bien sûr, ce qui vient juste après. On peut se dire, donc, est-ce que les matières premières pourraient, quelque part, nous aider à couvrir un portefeuille contre l'inflation ? Eh bien, on va faire le même type d'analyse. Voilà, très simplement. Alors, les matières premières, là, encore une fois, il y en a de toutes sortes. Vous avez l'énergie, tout ce qui est céréales, les métaux précieux, eh bien l'or justement... Et donc, vous avez un certain nombre d'indices comme de CAC 40 en fait, ce sont des indices commodities, mais sauf que cette fois-ci, plutôt que d'avoir les 40 actions françaises, on a un panier de matières premières. Et ce panier de matières premières, eh bien là, vous avez par exemple à droite un exemple d'un indice bloomberg, qui a été construit et sur lequel vous pouvez avoir des ETF qui sont fabriqués ou des fonds qui sont benchmarkés sur ce type d'indices. Donc vous avez du pétrole, vous avez du gaz, vous avez de l'aluminium, du cuivre, de l'or, du sucre, du café, tout ça. Tout ça, ça rentre dans ce panier, et ce panier, dans le temps, il évolue de la manière qu'on démontre... qu'on montre dans le graphique en haut à gauche, eh bien, un peu comme l'or, c'est-à-dire que depuis 2019, on a une forte augmentation de la valeur de ce type de panier. Mais là encore, quand on refait le même type d'analyse, c'est-à-dire quand on donne la performance de ce panier par rapport à l'inflation sur la même période, et qu'on fait cette analyse sur toutes les périodes possibles, encore une fois, notre nuage de points, la première chose qu'on voit, c'est qu'on n'a pas une couverture contre l'inflation, on a l'inflation plus ou moins 30-40%, et donc ça n'est pas efficace. Toutefois, si, pour les partenaires qui ont cette crainte concernant les matières premières, de la hausse de la valeur de ces matières premières, on peut avoir des solutions pour un peu maîtriser cette volatilité, maîtriser la trop forte volatilité que l'on a sur ce panier de matières premières. Donc ça, c'est pour les matières premières. Et enfin il y a un dernier, une dernière classe d'actifs, qui sont les obligations indexées sur l'inflation. Une obligation indexée sur l'inflation, comment ça fonctionne ? C'est comme une obligation classique, sauf que pour une obligation indexée sur l'inflation, les coupons sont réindexés, ils sont indexés sur l'inflation, et le nominal que vous touchez à la fin est également indexé sur l'inflation, c'est-à-dire que plus le temps passe, s'il y de l'inflation, eh bien, vos coupons seront réévalués de l'inflation. Donc vous aurez des coupons qui en valeur de 2022 seront protégés, et un nominal qui en valeur de 2022 sera protégé. Mais ce n'est pas aussi simple que ça. On va regarder là, les deux courbes qui sont relatives à une obligation de l'État français 9 ans. En blanc, c'est la courbe que tout le monde connaît. C'est le taux 9 ans français. Donc, on voit à mi-juin on est autour de 2,10%. Si vous achetez une OAT simple non indexée, vous aurez un rendement de 2,10%. Ça, c'est ce que vous donne une OAT 9 ans aujourd'hui. Mais ça ne vous couvre pas contre l'inflation. Et donc vous avez une deuxième catégorie d'obligations qui sont les obligations indexées sur l'inflation. Et cette fois-ci, comment ça marche ? Eh bien, en gros, vous avez une OATI, une OAT inflation. À mi-juin, elle donne un rendement de -0,40%. Et ce -0,40%, comment fonctionne-t-il ? C'est le rendement que vous aurez sur votre obligation auquel il va se rajouter l'inflation future sur les prochaines années. Aujourd'hui, cette OATI vous donne un rendement réel de -0,40%. Et bien sûr, vous rajoutez à ça l'inflation, donc si l'inflation fait 3% par an, vous aurez -0,40 + 3%, donc 2,60% de rendement, mais ça sera toujours -0,40% en rendement réel. Donc là, ces OATI ne protègent pas tout à fait de l'inflation, tout simplement parce que ce taux réel aujourd'hui est négatif. Et ça, c'est ce que l'on voit sur les obligations pures. Ensuite, une obligation, ça rentre dans un fonds, on a des frais de gestion qui font qu'on ne pourra pas être protégé de l'inflation.

MATHIEU MUCHERIE Et puis, c'est un petit marché. En France, oui. Petit marché aux États-Unis, ils l'ont créé en 1994. En France, ils ont dû le créer à peu près à la même époque, mais grosso modo, c'est quand même un marché assez étroit donc il y a des problèmes qui peuvent exister pour les institutionnels qui sont des problèmes de liquidité, qui sont des problèmes de volume, et puis, pour les particuliers, c'est à peine accessible, enfin, c'est plus difficilement accessible. Là, on vient de parler des OATI. Est-ce que Serge, il y a quelque chose quand même qui sort du lot ?

Quelles sont les solutions envisageables pour se protéger dans cette période ?

SERGE WERLÉ Il y a quand même quelques solutions, mais ce sont des solutions qui sont des proxys et qui sont loin d'être parfaites encore une fois. Donc elles ne vont pas vous protéger, elles vont vous surprotéger ou vous sous-protéger en fonction des moments. Mais en effet, on a quand même quelques pistes à évoquer pour nos partenaires. On vient de voir les OATI. On s'est dit : les OATI ne protègent pas contre l'inflation. C'est-à-dire, et encore, on a simplifié le schéma, mais il faut vraiment avoir en tête qu'une OATI ne protège pas contre l'inflation, surtout quand l'inflation anticipée est très élevée puisque si elle est très élevée, vous allez payer vos OATI très, très cher. Voilà, bien que vos coupons et votre nominal vont être remboursés avec une plus-value qui vient de l'inflation, si l'inflation anticipée est très élevée, les OATI sont très chères et elles ne vous protégeront pas contre l'inflation. Enfin, pas efficacement. Voilà, donc les OATI, c'est un marché qui en effet est peu profond, donc peu de possibilités d'investissement, et qui n'est pas très efficace. Par contre, on peut trouver des fonds dont le benchmark est effectivement l'inflation réelle. Donc non pas la performance de l'inflation anticipée à travers les OATI, ce qu'on appelle les « inflation linked bonds », mais vraiment l'inflation. Donc vous pourrez trouver des fonds, donc c'est là ce que je présente ici, le benchmark de ce fonds-là que vous pourrez peut-être retrouver par vous-même, c'est l'euro area inflation. C'est un fonds à gestion active, c'est-à-dire que ce n'est pas garanti, mais au moins, le gérant va sélectionner les bonnes obligations quand il pense que l'inflation anticipée est trop faible, et les autres quand il pense que l'inflation anticipée est trop élevée. Il va faire une gestion active entre les différentes classes d'actifs pour tenter de battre l'inflation réelle concrète. Et là, je mets juste à droite, par exemple, le benchmark d'un fonds qui n'a pas pour benchmark l'inflation du quotidien, mais par exemple le Bloomberg World Inflation-Linked. Et quand c'est inflation-linked, eh bien, ça veut dire que derrière, il y a des OATI ou des équivalents d'OATI. Ces choses dont on sait qu'elles ne permettent pas de protéger efficacement contre l'inflation. Donc, il faut faire son marché correctement, mais rien n'est garanti, ça reste une gestion active avec un risque sur l'alpha positif ou négatif. Deuxième classe d'actifs, ça reste quand même, Mathieu, tu peux réagir, les matières premières. Bon, voilà. Chacun pense ce qu'il souhaite penser, mais les matières premières... Peut-être certains de nos partenaires se disent qu'effectivement, être sensible, enfin positionné sur les matières premières, ça permettra, quelque part, de couvrir partiellement le risque inflationniste. Le problème de ça, c'est qu'on est sur une volatilité qui est très, très forte, comme on l'a vu. Et donc, ce que l'on peut faire et ce qui existe déjà, ce sont des solutions sur mesure. Alors, c'est plutôt du côté des banques qu'il faut trouver ces produits, ce sont des produits structurés généralement, des certificats, des notes, donc sur mesure, fabriqués vraiment selon les besoins d'un partenaire, et dont la performance va être indexée sur un... par exemple, sur un panier de matières premières avec une protection partielle du capital. C'est-à-dire que c'est un mélange entre une partie obligataire, qui va apporter cette protection partielle du capital, soumise aux risques de taux d'intérêt et une performance, enfin une indexation à la performance d'un panier de matières premières. Ce n’est pas pur matières premières, c'est un mélange, mais vous avez au moins quelque chose qui sera moins volatile, qu'un pur indice, un pur ETF ou un pur fonds commodities. Et enfin, la troisième classe d'actifs, c'est la classe des actifs réels. Je pense que là, vraiment, avant même la hausse de l'inflation, on avait, on sentait chez nos partenaires une demande croissante dans les actifs réels, donc l'immobilier, le private equity, l'infrastructure, tous les actifs qui ne sont pas cotés.

MATHIEU MUCHERIE Ces actifs qu'on dit réels, s'ils sont bien choisis, notamment sur les infrastructures, vous avez certaines infrastructures dont les cash flows sont indexés finalement à l'inflation, donc vous avez une certaine protection, eh bien, ces actifs réels sont une classe d'actifs qu'il faut considérer lorsqu'on s'intéresse à l'inflation.

GILBERT ROUX Alors, Serge, je le rappelle, vous êtes responsable de l'ingénierie financière chez BNP Paribas Cardif, donc on va s'intéresser maintenant à la façon dont vous gérez pour BNP Paribas Cardif. Est-ce que la situation inflationniste qu'on connaît modifie vos modes de gestion ? Est-ce qu'il y a une réelle interaction ?

La situation inflationniste actuelle modifie-t-elle les modes de gestion ?

SERGE WERLÉ Je vais me faire le porte-parole des équipes de gestion d'actifs de la direction. Notre fonds en euros, si on parle bien du fonds en euros, notre fonds en euros est un fonds dont l'allocation d'actifs est décidée de manière stratégique une fois par an, et ensuite qui est géré de manière tactique au cours de l'année.

MATHIEU MUCHERIE Mais stratégique tous les ans sur une base long terme. C'est-à-dire, tous les ans, on se pose la question de qu'est-ce qui va se passer sur l'ensemble des classes d'actifs et sur la façon dont elles vont interagir entre elles, sur 10 ans, 20 ans, 30 ans. Parce que notre horizon est un horizon d'assureur long terme, d'investisseur long terme. Donc c'est revu ensuite évidemment tous les ans, c'est revu même toutes les semaines, mais avec toujours une perspective vraiment longue.

SERGE WERLÉ L'allocation d'actifs de notre fonds en euros a une certaine inertie, et effectivement, lorsqu'elle est décidée, les équipes de gestion actif-passif ALM qui vont déterminer cette allocation vont se dire : cette allocation, est-ce qu'elle navigue bien dans les scénarii centraux, dans les scénarii favorables, dans les scénarii défavorables. Et dans ces scénarios, il n'y en a pas trois, il y en a des dizaines et des dizaines et des dizaines, où on va observer le comportement de cette allocation stratégique. On sait qu'elle va assez bien résister aux chocs d'inflation surtout s'ils sont temporaires. Donc la gestion d'actifs du fonds en euros va être assez peu impactée par ce choc d'inflation.

MATHIEU MUCHERIE Et c'est tant mieux parce que ce serait très inquiétant si on était emmené comme ça par des effets de mode. Vous savez que dans le marché, c'est terrible, tous les 3 mois, tous les 6 mois, il y a un effet de mode. Et nous, on doit, alors on doit évidemment être dans le marché, mais on doit aussi résister un peu à la tentation et c'est vrai qu'on aidé par ce côté génération imbriquée, ce côté grande masse, grand volume, perspective longue. On est aidé par cette structure, par cette duration, pour justement résister aux effets de mode qui sont parfois déstabilisants

GILBERT ROUX Alors messieurs, nous allons conclure cet entretien. Et avant de conclure, évidemment, je vous laisse la parole. Mathieu, vous commencez, quelle conclusion, quel message voudriez-vous passer à nos auditeurs ?

MATHIEU MUCHERIE On a peut-être oublié une voie ou une solution, enfin, une piste. Je dis peut-être parce qu'elle n'est pas facile à jouer. Mais on l'a dit, il n'y a rien d'évident, que ce soit contre l'inflation, mais aussi contre d'autres menaces, il n'y a pas que l'inflation. C'est la piste asiatique. Après tout, regardez, on nous dit : l'inflation est au plus haut actuellement aux États-Unis depuis 40 ans. L'inflation en Australie est au plus haut depuis 40 ans. L'inflation en France est au plus haut depuis 40 ans. L'inflation en Pologne est au plus haut depuis 40 ans. L'inflation, etc., etc., sur 39 pays de l'OCDE. OK. Tout de suite, immédiatement, vous voyez déjà qu'il y a une astuce. Ça veut dire qu'il n'y a pas 39 banques centrales qui se sont réunies dans une pièce en 2020 pour dire : tiens, on va avoir une politique laxiste qu'on n’a pas eue au cours des 38 dernières années et tout d'un coup, on va se mettre à avoir une inflation énorme, 39 banques centrales non coordonnées avec des gens qui ne pensent pas la même chose, etc. Bon, bien entendu, ce n'est pas ça. Vous voyez bien que l'inflation n'est pas monétaire. Là, l'inflation, elle est matières premières. Tous les pays en question, tous, tous les pays de l'OCDE sont grosso modo soumis à ce choc sur le pétrole, le gaz et quelques autres matières premières. Sauf l'Asie. Et quand je dis l'Asie, je parle de pays qui sont très différents, des régimes politiques différents, des banques centrales différentes, des monnaies qui n'ont pas les mêmes comportements des stades de développement différents. La Chine, Taïwan, la Corée du Sud et le Japon, ce sont quatre pays qui n'ont rien à voir. À tous les niveaux. Il n'y a pas d'inflation ni statistique ni véritable.. Du coup, si vous avez vraiment une menace d'inflation, si vous avez un scénario très dur d'inflation dans les années à venir, ce qui n'est pas mon cas, mais admettons que vous ayez évidemment ce scénario en tête, peut-être que développer nos connaissances sur l'Asie, développer nos connaissances sur les classes d'actifs chinoises ou autre, ça peut être une bonne méthode parce que c'est quelque chose qui pour le moment est très peu investigué, vous avez très peu d'Européens ou d'Américains qui pour le moment mettent une partie significative de leurs avoirs, de leur épargne vers l'Asie. C'est la zone de croissance, c'est la zone où ça se passe et si vous tracez un triangle entre Pékin, Tokyo et Bangkok, vous avez quelque part 40% de l'industrie mondiale sur une zone très limitée et une zone non inflationniste à la fois structurellement et monétairement.

GILBERT ROUX Serge, en conclusion ?

SERGE WERLÉ Alors, en conclusion, ce que je dirais, c'est que chaque partenaire se positionnera finalement sur le risque d'inflation qu'il voit à court ou moyen terme. Chacun le verra comme il le pense finalement. Donc ma conclusion, c'est que des solutions peuvent être trouvées, mais il faut vraiment bien les chercher. Voilà, c'est vraiment ça, le point que je mettrais en avant, c'est que, par exemple, vous prenez les matières premières comme je l'ai indiqué, l'or, vous n'avez pas du tout une couverture contre l'inflation. Vous prenez un fonds inflation, si c'est un fonds qui est indexé, benchmarké sur certaines choses, ça ne va pas vous couvrir contre l'inflation. Ce que je peux proposer, c'est qu'effectivement, si des partenaires ont des questions, bien sûr, qu'ils entrent en contact avec nous, pour qu'on puisse les accompagner dans la recherche de solutions.

MATHIEU MUCHERIE Il y a aussi des solutions qui paraissent évidentes, qui sont très à la mode, qui ne sont pas faciles à jouer, en fait. C'est cette idée qu'on va choisir par exemple des entreprises qui ont un pricing power élevé, qui véritablement ont une capacité à monter leurs prix. Et si on fait une bonne sélection de bonnes valeurs, du coup, on n'aura pas cette soumission à tous les caprices de l'inflation. Je dirais, il y a une impossibilité logique parce qui si vous êtes véritablement dans une situation d'inflation véritable, si tous les prix augmentent, la marée monte pour tout le monde, dans ce cas-là, tout le monde peut répercuter les hausses de prix sur ses produits, par définition. Auquel cas, il y a du pricing power pour tout le monde. Cet argument du pricing power ne vaut justement que s'il n'y a pas d'inflation et que par conséquent, il y a certaines boîtes qui peuvent répercuter des hausses de prix et pas d'autres. Si vous avez véritablement une inflation à 8-10 % véritable, tous les ans, comme par exemple dans les années 70, l'argument du pricing power tombe de façon logique.

SERGE WERLÉ On pense tout de suite au luxe dans le pricing power, mais ça peut-être ne serait-ce que l'automobile, on le voit, la santé, les semi-conducteurs, il y a tous ces secteurs-là, mas les performances ensuite ne sont pas extraordinaires. Et on reste sensible à la volatilité des marchés tout de même. On reste sur des actions, donc c'est très, très volatile.

MATHIEU MUCHERIE Les semi-conducteurs qui sont en pénurie mondiale, eh bien, elles sont prises actuellement dans le mouvement de recul du Nasdaq depuis 6 mois, et pourtant, elles ont parfois un très gros pricing power, y compris de très, très belles boîtes qui sont parfois sur leur segment en situation de quasi-monopole. Vous pouvez aussi avoir des Netflix qui est capable de monter ses prix, par exemple. Eh bien, ça ne l'empêche pas d'aller vers le bas, avec le reste du Nasdaq parce quand on est pris dans un mouvement général, on peut peut-être avoir du pricing power, mais peut-être que le marché se dit : Netflix a du pricing power aujourd'hui, mais en aura-t-elle dans 2-3 ans, 5 ans? Donc ce n'est pas quelque chose qui est facile à jouer et il vaut mieux soit trouver un très bon gérant qui sait jouer ça, soit se mettre un petit peu à côté de cette thématique et trouver une autre solution.

GILBERT ROUX Et c'est là-dessus que nous allons conclure ce podcast hors-série des #RDVExperts consacré à l'inflation et à ses multiples conséquences. Eh bien, écoutez, Mathieu Mucherie, Serge Werlé, un grand merci à vous d'avoir partagé avec nous votre expertise, et je vous dis donc à très bientôt pour la suite.

MATHIEU MUCHERIE Merci.

SERGE WERLÉ Merci.

Citation
Si des partenaires ont des questions, bien sûr, qu'ils entrent en contact avec nous, pour qu'on puisse les accompagner dans la recherche de solutions. Serge Werlé et Mathieu Mucherie
 

Serge Werlé

Intervenant

Responsable de l’Ingénierie Financière au sein de BNP Paribas Cardif, Serge Werlé a plus de 10 années d’expérience dans l’allocation d’actifs, la modélisation financière et les solutions d’investissement. Ingénieur des Mines et actuaire IA de formation, il enseigne à l’ENSIIE.

 

Mathieu Mucherie

Intervenant

Chef économiste, Mathieu Mucherie est en charge des études macroéconomiques à la Direction des gestion d’actifs et responsable des hypothèses financières long terme. Au sein de BNP Paribas Cardif, son expertise en politique monétaire est centrale et reconue.

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